Sortez dehors

Que vous habitiez près d’un étang, dans les montagnes ou à quelques coins de rue d’un parc, passer du temps dans la nature pourrait être bénéfique pour votre santé et votre bonheur.
Publié 18 juillet 2016

 

À l’extérieur de la ville où j’habite se trouve un parc qui change ma vie chaque fin de semaine. Ses collines doucement ondulantes, ses petits sentiers en terre battue et ses majestueux arbres torsadés sont mes proches amis. Après cinq minutes de randonnée, je sens que je me transforme. Mes sens s’éveillent et prennent conscience du soleil, du vent et même des sons que font les coyotes. Le travail, le stress et tous mes autres tracas s’évaporent et un lien semble m’unir à une force plus grande que moi. Chose certaine, j’aime passionnément la nature—et j’ai toujours eu l’impression qu’elle me le rend bien.

Ces jours-ci, nous n’avons pas tous l’occasion de vivre ce sentiment de joie. De plus en plus, nous restons à l’intérieur. Les Canadiens passent beaucoup de temps à l’intérieur — une tendance sans doute liée à la montée en importance des ordinateurs, de la technologie et des exigences du lieu de travail dans nos vies, mais aussi découlant de craintes (fondées ou non) des dommages causés par le soleil, du cancer de la peau ou même des maladies transmises par les tiques. Le problème est à tel point répandu que le journaliste américain Richard Louv a baptisé le phénomène le « trouble du déficit de la nature » dans son livre de 2005, Last Child in the Woods: Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder (Le dernier enfant dans la forêt : Comment éviter que nos enfants soient atteints du trouble du déficit de la nature). Cet ouvrage décrit le sentiment d’éloignement de la nature qu’éprouvent les enfants parce qu’ils passent tant de temps à l’intérieur et si peu de temps à jouer dehors dans la neige ou à patauger dans les ruisseaux. Pourtant, peu importe notre âge, tenir la nature à distance a une incidence sur nous tous.

La plupart d’entre nous sont au moins quelque peu conscients de la toxicité possible de la vie intérieure — s’asseoir pendant des heures les épaules voutées dans une chaise molle, respirer de l’air vicié, fixer des yeux un écran électronique (ou quatre). Ce que nous ne réalisons peut-être pas c’est l’impact profond que peut avoir sur nos esprits, corps et âmes une promenade dehors dans le monde des arbres et des collines, du soleil et de l’eau.

Une énergie naturelle

« Pour être réellement en santé, nous avons besoin de la nature », explique Craig Chalquist, PhD, directeur du programme de psychologie Orientale-Occidentale au California Institute of Integral Studies (Institut californien d’études intégrales) à San Francisco. « Notre évolution a eu lieu dans un monde naturel. La technologie nous garde si longtemps à l’intérieur que nous oublions que nous faisons partie de ce monde. » M. Chalquist donne des cours d’écothérapie, une discipline faisant la promotion du bien-être au moyen de l’interaction avec la nature. Selon M. Chalquist, l’écothérapie s’inscrit dans le cadre des soins de la santé assistés par la nature (comme la thérapie assistée par les animaux ou la thérapie par le jardinage). « Le tout est lié à la théorie de la biophilie. », dit-il. « Philie signifie être attiré par et biophilie signifie que nous avons évolué de manière à être attirés par la nature. C’est inné pour nous et d’autres créatures. Autrement dit, nous savons instinctivement nous connecter à la nature. Nous n’avons pas à apprendre comment établir cette connexion. Lorsque nous regardons la nature, lorsque nous l’écoutons et lorsque nous respirons ses odeurs, nous entrons en contact avec nos origines profondes et celles de tous nos ancêtres. »

Un nombre croissant de recherches montrent à quel point la nature peut nous rendre plus heureux et sains. Une récente étude a révélé qu’un groupe qui s’est promené en forêt avait une pression artérielle moins élevée et une fonction pulmonaire améliorée tandis qu’un autre groupe qui a parcouru la même distance en ville n’a constaté aucun bienfait. Des travaux de recherche publiés en 2015 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (Actes de l’Académie nationale des sciences) ont signalé que les participants à une étude qui ont marché pendant 90 minutes dans de beaux paysages naturels ont vécu une baisse marquée de leurs pensées négatives mesurée par un sondage et un scanneur cérébral. Une autre étude a dévoilé qu’une promenade de 20 minutes dans un paysage naturel pourrait être tout aussi vivifiante qu’une tasse de café. Bien que je sois ravie de savoir qu’il y a des preuves scientifiques à l’appui, je n’avais vraiment pas besoin de cette confirmation. Je le constate chaque fois que le soleil m’effleure le visage, que la montagne près de chez moi me fascine ou que je déambule dans les bois. Je sais que ça fonctionne. Mais pourquoi est-ce le cas?

Les hautes sphères du plaisir

Les psychologues décrivent ce que j’éprouve lorsque je me plonge dans la beauté de la nature – ce sentiment d’émerveillement et d’excitation — comme étant une profonde admiration. Dans un article fondamental rédigé en 2003, le professeur de psychologie Dacher Keltner, PhD, de l’University of California, Berkeley, et Jonathan Haidt, PhD, professeur en leadership éthique à la New York University, ont indiqué que l’admiration profonde est un sentiment dans les « hautes sphères du plaisir, à la limite de la peur ». Ils ont expliqué que l’admiration profonde est constituée de deux éléments : l’ampleur perçue (le sentiment qu’il y a quelque chose de plus grand que nous) et l’accommodement (notre besoin d’intégrer cette immensité dans nos esprits).

Voilà ce que je ressens —et sans doute vous aussi —au pied d’une chute d’eau déchaînée ou au sommet d’une montagne ou même en regardant le ciel étoilé. Des soucis individuels comme la facture du câble ou une remarque blessante d’un collègue se dissipent. Je me souviens que la nature n’est pas seulement en dehors de moi : j’en fais partie. Une nouvelle étude de l’University of California, Irvine, suggère qu’éprouver ce sentiment d’admiration profonde inspiré par la nature peut augmenter notre sentiment de compassion et de responsabilité envers les autres. Nous voir en relation avec le vaste monde qui s’étend au-delà de nous peut nous aider à mettre nos vies en perspective et nous sensibiliser au bien-être d’autres personnes et de la nature comme telle.

Bien que l’admiration profonde soit une émotion encore peu étudiée, la recherche commence à montrer qu’elle peut aussi avoir un impact sur la santé physique. Une étude corédigée par M. Keltner en 2015 a découvert que les sujets qui signalaient des sentiments d’émerveillement et d’admiration profonde avaient des niveaux moins élevés d’une cytokine appelée interleukine-6; des niveaux élevés de la substance sont associés à l’inflammation, la maladie auto-immune et la dépression.

Le vent tourne

L’admiration profonde est ce que tant d’entre nous ont perdu en restant à l’intérieur. Dans le monde entier, par contre, de plus en plus de gens éprouvent ce sentiment de perte et essaient de rétablir un lien avec la nature. Pensez au shinrin-yoku ou « bain de forêt », une tendance au Japon selon laquelle les gens se promènent lentement en forêt pour réduire leur stress. Les études démontrent qu’en se concentrant consciemment sur l’environnement, ceux qui pratiquent le « bain de forêt » peuvent rehausser leurs systèmes immunitaires, apaiser leurs nerfs, améliorer leur humeur et leur sommeil. La Forest Agency of Japan (Agence des forêts du Japon) a créé le terme shinrin-yoku en 1982 et le pays compte maintenant 44 forêts attitrées.

Plusieurs médecins ont aussi souligné les bienfaits de passer du temps dehors. Certains ont même rédigé des ordonnances pour inciter leurs patients à sortir à l’extérieur et y faire de l’exercice afin de profiter des avantages pour la santé. « Il est rare de trouver une intervention médicale gratuite, à faible risque et facile à exécuter », explique le docteur Robert Zarr, MD, fondateur et directeur de Park Prescription at Unity Health Care et conseiller en ordonnances pour les parcs du National Park Service (Service national des parcs). « La logique dicte qu’on devrait toujours passer plus de temps dehors, mais il est parfois difficile pour les gens de changer. »

Il ajoute qu’il a constaté des améliorations évidentes par rapport à l’obésité, l’asthme et même les symptômes du TDAH chez ses patients qui suivent de près ses ordonnances. Il n’est pas nécessaire que le changement soit énorme. Même si vous ne pensez pas que votre parc local ou votre cour arrière est digne d’admiration profonde, à certains niveaux c’est peut-être le cas. Une méta-analyse d’études en 2010 a montré que votre humeur et votre estime de soi pourraient s’améliorer lorsque vous sortez dans la nature et bougez pendant aussi peu que cinq minutes à la fois.

Surtout, une fois que vous commencez, vous pouvez devenir un vrai accro. Une étude publiée dans Environmental Science and Technology (Science de l’environnement et de la technologie) a révélé que faire de l’exercice dehors a non seulement rendu les gens plus heureux, mais aussi les a amenés à répéter l’expérience régulièrement. Je sais que quelque chose m’attire encore et encore vers mon lieu spécial chaque fin de semaine. Peut-être que c’est l’admiration profonde. Peut-être que c’est un sentiment de paix. Peut-être que c’est la joie de savoir que j’étais en contact avec tout ce qui m’entourait. Je sais, par contre, que je ne changerais mes randonnées de fin de semaine dans la nature pour rien au monde.